l'OMBRE d'un ANGE

L'histoire de gamins qui menèrent la guerre d'une vie

C'est un long texte, je l'admets. Mail il traite d'un sujet pour le moins capital. Alors je vous demanderai de le lire jusqu'au bout. Merci.

 

 

 

On était tellement nombreux, dans ce lycée pourri, à avoir grandi trop rapidement. En fait, quelque soit le nombre, ou le chiffre, c'est toujours trop. Trop de souffrances et de tristesse pour les enfants que nous étions.

Que nous étions.

 

Car nous n'en sommes plus, des enfants.

Les enfants c'est des moutons, c'est blanc de pureté, c'est blanc d'innocence. Nous, nous avons perdu tout cela. Lumière éclatante, pureté, innocence.

La lumière nous l'avons perdu quand notre cauchemar a commencé, mais nous ne nous sommes rendus compte de ce vide qu'une fois engagé sur le chemin. Un chemin... sans ticket de retour, avec un aller simple pour l'enfer.

Notre pureté a foutu le camp à notre première larme de chagrin. Pourtant c'est pur, une larme. Mais ici la pureté s'allie à la tristesse, à la douleur, à l'éternel questionnement de l'enfant qui ne comprend pas ce qui lui arrive.

Quant à notre innocence... Elle est morte le jour où pour faire face, nous avons retourné les armes de notre agresseur contre lui. Le jour où la guerre a commencée. "Pour survivre à la guerre, il faut devenir la guerre". Alors on a vu la lumière revenir. Oh, pas grand chose. A peine une pâleur, la lumière au bout du tunnel, un espoir ! Et de cet espoir on a construit la vision d'une vie meilleure. Non pas un monde, juste une vie. Notre vie. On était petit, on ne comprenait pas, on savait juste qu'il fallait faire face.

Vint ensuite le courage, et puis le courage de se redresser. Fort, fort, et fort. De faire face avec force, de frapper avec force, et de frapper, encore, et encore, avec force.

Pour survivre à la guerre, il faut devenir la guerre. Alors on est devenus ce qu'on combattait. Chacun à notre manière, chacun selon notre adversaire. Mais le schéma reste le même. Et on a grandi ainsi. Oh pas longtemps. On n'a pas grandi longtemps, parce que très vite on est devenus plus adultes que beaucoup de vieillards. On avait grandi trop vite.

Et c'est dans le chaos qu'on a compris. On a compris ce qui était Bien, et ce qui était Mal. On a voulu faire une différence, entre le coup porté par notre ennemi, et celui que nous lui avions porté. La raison était différente, pensions-nous. La cause était différente. POur nous, tout ça n'était que JUSTICE !

Aujourd'hui nous avons tous accepté cette part de Mal en nous. Ce côté sombre. Certains l'ont domestiqué, en ont tiré le meilleur, en ont fait une force défensive, et non offensive.

Un bouclier, plutôt qu'une épée.

Une sagesse, plutôt qu'une malédiction.

Un fardeau de conscience et d'altruisme, plutôt qu'une volonté d'anarchie et d'égoïsme.

 

Certains l'ont domestiqué, d'autres pas. Dans ce lycée nous étions nombreux. Le nombre, même s'il est un chiffre, est toujours trop nombreux. Je sais ce qu'il est advenu de la plupart d'entre nous. On a tous remporté la victoire, et nous sommes tous redevenus nous-mêmes. Il y a juste... une seule personne. J'ignore ce qu'elle est devenue. Elle est partie du lycée avant que je ne comprenne tout cela. Et j'ignore quel genre de personne elle est devenue. Aurélie était forte, et sur la bonne voie. Mais elle était jeune, tellement jeune ! Jeune et déjà plus forte que bien des adultes.

 

Certains ont commencé à fumer. Pour combler les vides, les manques, et le reste. Pour rétablir un semblant d'équilibre. Tu parles ! Pâle ombre de ce que la joie fut jadis.

Moi aussi j'ai fumé. Je vais à présent vous raconter l'histoire des cigarettes.

 

Il y a toujours une raison au fait que nous portons une cigarette à nos lèvres, puis le briquet à la cigarette. On dira ce qu'on veut, que c'est pour frimer, pour faire comme les grands, ou combler un manque, un vide, ou parce qu'on déprime. Il y a toujours une raison plus profonde. Qui touche tout ce que nous sommes. Qui s'est faufilée sous notre peau, et s'est accrochée à nos nerfs.

J'ai commencé à fumer parce que je m'identifiais à ces élèves que je sentais différents des autres. J'ai plus tard compris que c'est parce que nous avions tous le même point commun : une enfance difficile, et un combat mené, ou à mener. Alors j'ai fumé avec eux, pour me rapprocher d'eux, me sentir moins seul. Pour sentir que j'appartenais à un groupe, et que ce groupe se serrait les coudes, pleurait et riait ensemble. Vivait, ensemble.

Au début, ça m'aidait de me sentir proche d'eux. Et très vite j'ai voulu marquer mon indépendance. J'ai arrêté de fumer, puis j'ai recommencé, et quand j'ai vu que je commencais à devenir accro, j'ai arrêté.

Au début, ça aide. Parce que ça comble effectivement le vide, le manque, ça nous fait sentir plus vivant. On sent une odeur forte, on joue les rebelles on fait ce qu'on veut on ne se laisse pas contrôler. On se sent bien. Bien dans notre peau. Vivant. Putain de merde oui, ça a aidé.

Les premiers temps. Après j'ai réalisé que ce n'était qu'une illusion, et j'y ai mis un terme. Mais ça m'avait aidé. Aidé à remonter la pente, à me sentir plus fort. Illusion, douce illusion, trompeuse comme toutes les illusions. Mais NECESSAIRE.

Certains sont allés plus loin. C'était une erreur. Ils se sont pris à l'illusion, y ont cru desespérément. Certains s'en sont sortis assez vite, d'autres pas. Parfois c'est un chemin sans ticket de retour. L'ennui, c'est qu'on ne le sait qu'une fois arrivé à destination.

 

Fumer ça aide. Ca m'a aidé, ça a aidé les autres, que je voyais à côté de moi. Et de voir les autres ainsi ça aide également. Tout ça nous fourni la force de continuer la guerre, tout en nous offrant du repos. Repos illusoire et destructeur, mais repos tout de même.

 

La fille dont j'ai parlé plus haut, elle aussi fumait. A 11 ans. Si c'est pas un signe, ça ! Aurélie, qu'elle s'appelait. Aurélie... c'est un nom magnifique, vous ne trouvez pas ?

Le nom d'une battante.

Et pour elle y'en a qui se sont battus. Des personnes, tout juste avec un ou deux ans de plus, qui savait ce que c'était que de plonger dans une guerre, et qui y sont quand même aller pour la tirer de là. Alors que d'autres restaient à regarder ! Mais c'est DEGUEULASSE ! Elle était jeune elle avait la vie devant elle !

 

Peu importe combien nous étions, on était trop nombreux. Le nombre, même si c'est un chiffre, est toujours trop nombreux. Si nous avions été 100, cela aurait été monstrueux. Nous étions une dizaine, et c'était déjà terrible. Si Aurélie avait été toute seule, 1, ça aurait été tout aussi monstrueux que si nous avions été 100. Et tant qu'il en reste 1, le 1 devient 10, le 10 devient 100. A 1 la monstruosité est toujours là, à 100 on ne fait que mieux l'apercevoir. C'est pas pour autant qu'on nous aurait vu. Les gens préfèrent ne pas voir, préfèrent ignorer, et fermer les yeux. Mais tant que le chiffre n'est pas 0, le 1 devient 100, et tout continue, et tout recommence.

 

Et qu'on vienne pas nous faire la morale, ou bien nous apporter les banales paroles que l'avenir est encore devant nous ! Ce qu'on a vécu, tous et chacun, c'était plus terrible d'une personne à l'autre ! Pour moi, effectivement, j'ai encore de l'avenir. Moi je m'en suis sorti. Pour d'autres ce n'est pas forcément le cas. D'autres n'ont pas eu la chance que j'ai eue, n'ont pas eu les réflexes que j'ai eues, d'autres s'en sont sortis moins bien que moi. D'autres n'ont pas forcément d'avenir.

On nous a volé notre enfance, et notre adolescence, et pour certains, la vie entière. Alors il est de votre devoir, à vous, les gens qui avez fermé les yeux pendant si longtemps, de leur porter secours. De les aider. De tendre la main, le bras, l'épaule, et même votre âme !

Vous vous avez peut-être oublié ce que vous avez vu, nous on n'a pas oublié que vous n'avez pas voulu voir. Au diable les apparences et les faux-semblants ! On s'aide entre nous, parce qu'on sait ce qu'on a vécu. Mais ce n'est jamais suffisant. Toute l'aide du monde n'est pas suffisante quand le mal est fait. On connaît la douleur, nous.

Oui on connaît la douleur, la souffrance, la tristesse, les larmes, les espoirs perdus, envolés, et brisés. On connaît le beau, et son opposé. On sait déjà tout ce qu'il y a à apprendre de la vie. Et que celui qui continue de fermer les yeux sur notre combat ne croise jamais notre route. Que ses paroles hypocrites ne parviennet pas à nos oreilles. Qui ose dire qu'il peut nous apprendre les sentiments ?! Ou nous montrer ce qu'il faut faire pour être "Grand" ?! Qui OSE ?!

 

 

J'ai connu tout ça. Aujourd'hui j'ai la force, et le pouvoir d'aider ceux qui ont souffert. Vous devriez en faire autant. Ce sont eux qui supportent les douleurs du monde, et qui portent un fardeau. Le front luisant de sueur, les joues creuses, les mains blessées, mais le dos bien droit !



04/09/2011
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