l'OMBRE d'un ANGE

Accident de bus

   Je suis dans le bus. Il est pratiquement vide. Je suis assis, sur la droite. Je dois être fatigué, parce que je laisse aller ma tête contre la vitre. Ce rêve est étrange : je vois mon visage dans le reflet du verre. Mais pas juste la silhouette, non. Je peux me regarder dans les yeux, discerner mes cernes, mes sourcils qui se froncent légèrement, mon front qui se plisse.

Le bruit du moteur emplie le bus, mais je ne l’entends pas. On approche d’un feu rouge. Je ne tourne pas la tête, je ne le vois pas, mais je connais le trajet, et cette route est coupée par un feu en sou bout. Pour ma part, je fixe toujours mes yeux, cherchant en leur profondeur ce que je ne trouvais pas en moi.

   Soudain, ma vue sort du bus. Je suis peut-être à dix mètres dans les airs. Mon regard n’avance pas, le bus s’enfuit, me semble t’il. Je ne ressens rien. Ni étonnement, ni peur, ni joie. Rien. Dix mètres… Vingt mètres… Trente mètres… Je me contente de le suivre des yeux. Puis il passe le feu, tourne à gauche, et se renverse. Il glisse sur un petit mètre, s’immobilise sur le côté. Le côté droit.

   Je me réveille en sursaut, dans mon lit, allongé sur le dos.

   Ce jour-là, en rentrant du lycée, le bus était pratiquement vide. En une fraction de seconde, le rêve me revient en mémoire. Aucune inquiétude ne s’empare alors de moi. Non, c’est… de l’intérêt. Plus précisément : de la curiosité.

   Un sourire étire mes lèvres, je m’assieds au siège exact que j’occupais dans mon songe. Apercevant un fin reflet, j’approche mon visage de la vitre, et me contemple. Les yeux dans les yeux. Mon sourire gagne un peu plus mes lèvres.

   Mon cœur s’emballe quand on arrive au feu. Le bus accélère soudainement, passe de justesse au vert, et tourne précipitamment. Les suspensions de droite sont écrasées par le poids du véhicule qui n’est plus tellement droit, mais sacrément penché. Je n’ose pas bouger un muscle, comme si le moindre gramme pouvait faire pencher la balance, et, avec elle, le bus entier. Mon cœur bat la chamade maintenant. La pression dure une éternité, j’étouffe. J’ai bloqué ma respiration sans m’en rendre compte.

   Le bus s’aligne avec la route, le moteur rétrograde, on s’arrête pour l’arrêt suivant, juste après le feu.

   Je rentre chez moi. Il ne s’est rien passé.

   Parfois, encore, quand je rentre du lycée et que le bus est vide, et qu’on approche de ce même feu, je me lève soudainement. Je reste debout, sur la gauche, les pieds bien calés, les mains crispées sur la barre la plus proche. Mes jointures blanchissent tellement je serre fort le métal. On passe le feu, et rien ne se passe.

Un jour que je ne ferai pas attention, l’accident aura lieu.

 

   Advienne que pourra. Je sais ce que j’aurai à faire.



18/04/2011
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